Julien Gracq

Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier, né le 27 juillet 1910 à Saint-Florent-le-Vieil et mort le 22 décembre 2007 à Angers, était un écrivain français.



Catégories :

Écrivain français du XXe siècle - Ancien élève de l'Institut d'études politiques de Paris - Normalien - Surréalisme - Nom de plume - Naissance en 1910 - Décès en 2007

Recherche sur Google Images :


Source image : www.litterales.com
Cette image est un résultat de recherche de Google Image. Elle est peut-être réduite par rapport à l'originale et/ou protégée par des droits d'auteur.

Page(s) en rapport avec ce sujet :

  • Bibliographie / Biographie. Qui est Julien Gracq ?... paysages marins envoûtants qui engloutissent inexorablement une sorte de cité vénitienne pourrissante.... Julien Gracq est décédé à Angers le 22 décembre 2007, à l'âge de 97 ans.... (source : republique-des-lettres)
  • ... Julien Gracq est décédé à 97 ans à l'hôpital d'Angers où il avait été... Forme d'une Ville» (écrit en 85) où il parle de la Cité des Ducs.... (source : ouest.france3)


Julien Gracq
Signature autographe de l'auteur
Signature autographe de l'auteur

Activité (s) Écrivain
Naissance 27 juillet 1910
Saint-Florent-le-Vieil
Décès 22 décembre 2007
Angers
Langue d'écriture français
Genre (s) Divers
Distinctions prix Goncourt 1951 (refusé) pour Le Rivage des Syrtes

Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier, né le 27 juillet 1910 à Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire) et mort le 22 décembre 2007 à Angers, était un écrivain français.

Si Au château d'Argol, son premier roman, fortement influencé par le romantisme noir et par le surréalisme, avait attiré l'attention d'André Breton, c'est avec Le Rivage des Syrtes, et en particulier le spectaculaire refus de son auteur de recevoir le prix Goncourt en 1951, que Julien Gracq s'est fait connaître du public. Reconnaissance paradoxale pour cet écrivain discret qui s'est effacé derrière une œuvre protéiforme et originale, en marge des courants dominants de la littérature de son époque (voire en opposition), qu'il s'agisse de l'existentialisme ou du nouveau roman. Après avoir abandonné l'écriture de fiction, Julien Gracq publie à partir de 1970 des ouvrages qui mélangent bribes d'autobiographie, réflexions sur la littérature et méditations géographiques.

Traduites dans vingt-six langues, étudiées dans des thèses et des colloques, proposées aux concours de l'agrégation, publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade, les œuvres de Julien Gracq ont valu à leur auteur une consécration critique presque sans équivalent à son époque.

Les années de formation
La Loire dans la région natale de Julien Gracq

Second enfant d'un couple de commerçants aisés (qui ont eu une fille, Suzanne, née neuf ans plus tôt, ainsi qu'à laquelle Julien Gracq restera particulièrement attaché), Louis Poirier est né le 27 juillet 1910 à Saint-Florent-le-Vieil, petite ville des bords de Loire, entre Angers et Nantes, où ses ancêtres paternels sont installés depuis plusieurs siècles[1]. Il y passe une enfance heureuse et campagnarde, expliquera-il plus tard, dont les premiers souvenirs sont associés à la lecture (il découvre particulièrement jeune les œuvres de Fenimore Cooper, d'Erckmann-Chatrian, d'Hector Malot, et en particulier de Jules Verne, qui «a été la passion de lecture de toute [s]on enfance») ainsi qu'à la présence, en arrière-plan, de la guerre, qui ne le touche pas directement, personne dans sa famille n'étant mobilisé[2].

En 1921, à l'issue de ses études primaires, il est envoyé à Nantes, où il devient interne au Lycée Georges-Clemenceau. Immédiatement, il se prend à détester la vie d'internat, qui lui apparaît comme pesante et odieuse[3]. La découverte du Rouge et le noir de Stendhal, dont la lecture le bouleverse, lui donne le modèle et le mode d'emploi de la révolte qui restera la sienne tout au long de son existence : une fin de non-recevoir, froide et délibérée, mais purement intérieure, assénée à l'ordre du monde social[4].

Louis Poirier est cependant un élève brillant, qui est admis en classe préparatoire en 1928 au Lycée Henri-IV à Paris, où il suit les cours de philosophie d'Alain. Il découvre à cette époque l'art moderne, le cinéma, et la littérature contemporaine (Paul Valéry, Paul Claudel... [5]). Enfin, en 1929, il a la révélation de l'opéra wagnérien, découvert lors d'une représentation de Parsifal[6]. En 1930, Louis Poirier est admis à l'École normale supérieure. C'est à cette époque qu'il découvre le surréalisme, à travers quelques ouvrages d'André Breton : Nadja, le Manifeste du surréalisme, peut-être aussi Les Pas perdus[7]. Autre découverte, d'une toute autre nature, mais elle aussi marquante à sa façon : celle de l'idéologie nazie, par l'intermédiaire d'un groupe d'étudiants allemands à l'occasion d'un voyage scolaire à Budapest en 1931[8].

Louis Poirier suit en parallèle des cours à l'École libre des sciences politiques (il en sera diplômé en 1933). Choisissant d'étudier la géographie, en hommage à Jules Verne, dira-t-il ensuite[9], il est élève d'Emmanuel de Martonne et d'Albert Demangeon[10]. En 1934, Louis Poirier publie son premier texte, un article en partie issu d'un mémoire universitaire : «Bocage et plaine dans le sud de l'Anjou», qui parait dans les Annales de géographie[11]. La même année, il est reçu à l'agrégation d'histoire et géographie, et est affecté, en premier lieu à Nantes, au lycée Clémenceau où il avait été élève, puis à Quimper.

Un écrivain «tardif»

À Quimper, Louis Poirier anime le cercle d'échecs[12], ainsi qu'une section syndicale de la CGT[13]. Il est aussi, depuis 1936, adhérent au Parti communiste français. Son engagement politique le pousse à prendre part à la grève – illégale – de septembre 1938, ce qui lui vaut une suspension temporaire de traitement[14]. Mais il a des difficultés à concilier cet engagement politique avec sa pratique de l'écriture, dont l'esthétique est particulièrement éloignée du réalisme socialiste.

En effet, en 1937, après avoir obtenu un congé sans solde d'une année pour se rendre en URSS afin d'y préparer une thèse de géographie (projet avorté pour cause de non-réception du visa d'entrée dans ce pays[15]), Louis Poirier s'est lancé dans l'écriture d'un roman : il s'agissait là, expliquera-t-il plus tard, de son premier acte d'écriture. Il n'y a pas eu chez lui de «tentatives précoces», d'ébauches avortées rédigées au sortir de l'adolescence[16]. Ce qui le conduira à expliquer qu'il se considère comme un «écrivain tardif» : «mon premier livre a été Au château d'Argol ; une heure avant de le commencer, je n'y songeais pas[17].» Ce premier roman, «plus abstrait, plus violent et plus révélateur[18]» que ceux qui le suivront, met en scène les relations ambiguës, fortement teintées d'érotisme et de violence, entre trois jeunes gens (deux hommes et une femme), dans un style inspiré d'Edgar Allan Pœ et de Lautréamont[18]. Une fois l'écriture d'Au Château d'Argol achevée, Louis Poirier le fait parvenir aux éditions de la NRF, qui refusent le manuscrit. Il le laisse alors dans un tiroir, jusqu'à ce qu'il fait la connaissance de José Corti, l'éditeur des surréalistes, qui apprécie l'ouvrage et accepte de le publier à condition que son auteur participe aux frais d'édition. Le texte paraît augmenté d'un «Avis au lecteur» rédigé après-coup, dans lequel l'auteur revendique les influences de Wagner et du surréalisme, et récuse par avance toute interprétation symbolique du roman[18]. Plus tard, Gracq expliquera que cet «Avis» avait pour fonction première de brouiller les pistes[19].

C'est à cette époque que Louis Poirier décide de prendre un pseudonyme littéraire, pour «séparer nettement [s]on activité de professeur de [s]on activité d'écrivain». Voulant que la totalité du nom et du prénom fasse trois syllabes et contiennent des sonorités qui lui plaisent[20], il se décide pour Julien Gracq. Le prénom est probablement un hommage à Julien Sorel, le héros du Rouge et le Noir, alors que le nom peut faire référence aux Gracques de l'histoire romaine, même s'il a peut-être en particulier été choisi pour sa brièveté, sa voyelle grave et sa finale explosive[20].

La diffusion du Château d'Argol est confidentielle (130 exemplaires vendus en un an, sur un tirage de 1 200[21]), mais ce dernier est remarqué par Edmond Jaloux, Thierry Maulnier, et en particulier André Breton, qu'il connaissait déjà[22]) ainsi qu'à qui Gracq avait envoyé un exemplaire du roman. Le «pape du surréalisme» lui adresse en réponse une lettre enthousiaste[23] et lors d'une conférence prononcée à Yale en octobre 1942, Breton précisera l'importance qu'il accorde à ce roman «où, probablement pour la première fois, le surréalisme se retourne librement sur lui-même pour se confronter avec les grandes expériences sensibles du passé et évaluer, tant sous l'angle de l'émotion que sous celui de la clairvoyance, ce qu'a été l'étendue de sa conquête[24]

Les deux hommes se rencontrent à Nantes en août 1939, et immédiatement est réglée la question de la non-appartenance de Gracq au groupe surréaliste, auquel il ne souhaite pas se joindre[25].

Il rompt la même année avec le Parti communiste, suite à l'annonce du pacte germano-soviétique. «Depuis, je n'ai jamais pu ni mêler quelque croyance que ce soit à la politique, ni même la considérer comme un exercice sérieux pour l'esprit», avouera-t-il plus tard, tout en précisant qu'il «li[t] les journaux» et «vote régulièrement[26]».

La période de la guerre

Affiche annonçant la création de Parsifal (1882), opéra que Julien Gracq découvre en 1929.

On a fréquemment dit que les fictions de Julien Gracq se définissent par l'attente d'un évènement, dont la nature est le plus souvent catastrophique, à l'orée duquel se concluent ses récits[27]. À la fin de l'année 1939, cette situation dans laquelle il se plait à se trouver en imagination rejoint l'atmosphère générale dans laquelle baigne la France de la «drôle de guerre», cette époque «très étrange» où «tout était en suspens». «La débâcle était dans l'air, expliquera-t-il plus tard, mais il était totalement impossible de prévoir sur quoi allait déboucher cette attente particulièrement anxieuse[28].» Cette période particulièrement spécifique d'une guerre déjà déclarée mais pas toujours commencée lui apportera la matière du Rivage des Syrtes (1951) et du Balcon en forêt (1958) [29]. Louis Poirier est mobilisé à la fin du mois d'août 1939 dans l'infanterie, avec le grade de lieutenant au 137e régiment.

Le régiment, en premier lieu cantonné à Quimper, est envoyé à Dunkerque, puis en Flandres, avant de revenir à Dunkerque, où, au mois de mai 1940, il affronte l'armée allemande durant huit jours, autour de la tête de pont de Dunkerque[30]. Gracq est fait prisonnier et envoyé dans un stalag en Silésie, où sont aussi internés Patrice de la Tour du Pin, Raymond Abellio, ou encore Armand Hoog, qui devait plus tard décrire l'attitude du prisonnier Gracq en ces termes : «[il était] le plus individualiste, le plus anticommunautaire de tous, le plus férocement antivichyssois, il passait là-dedans comme soutenu par son mépris, sans se laisser atteindre[31]». Ayant contracté une infection pulmonaire, Julien Gracq est libéré en février 1941. Il retourne alors à Saint-Florent-Le-Vieil, juste à temps pour revoir son père, gravement malade, avant que ce dernier ne décède peu après[32].

Julien Gracq reprend alors ses activité d'enseignement, au lycée d'Angers en premier lieu, puis, à partir de 1942, à l'université de Cæn en qualité d'assistant de géographie, où il entame une thèse sur la «morphologie de la Basse Bretagne», qu'il n'achèvera pas[33].

En décembre 1943, Gracq achète à la gare d'Angers un exemplaire de Sur les falaises de marbre d'Ernst Jünger, qu'il lit d'une traite, sur un banc, dans la rue[34]. Il racontera dans Prédilections («Symbolique d'Ernst Jünger», 1959) quel bouleversement a été pour lui la découverte de ce «livre emblématique». Les deux hommes se rencontreront à Paris en 1952, et deviendront amis. Jünger écrira dans son journal qu'il considère Gracq comme étant celui qui, «après la mort de [s]on cher Marcel Jouhandeau, rédigé la meilleure prose française[35]». La critique universitaire a d'autre part relevé, entre les œuvres du Français et celles de l'Allemand, des similitudes stylistiques et thématiques[36] et pour Michel Murat «l'ombre des Falaises couvre au cœur de la fiction gracquienne, du Rivage des Syrtes au Balcon en forêt, en passant par le roman inachevé dont La Route forme le vestige»[37].

De 1945 au Rivage des Syrtes

La Mala noche, une gravure de Francisco Goya (série des Caprices, 1799) qui «donne des clés de l'érotisme gracquien[38]»

En 1945 paraît le deuxième roman de Julien Gracq : Un beau ténébreux, publié lui aussi aux éditions José Corti, auxquelles Gracq restera fidèle tout au long de sa carrière littéraire. Rédigé en deux temps (une première partie a été rédigée en Silésie, durant la captivité de Gracq, alors que la seconde a été rédigée en même temps que les poèmes de Liberté grande en 1942[39]), le roman raconte la rencontre entre un groupe de personnages à «l'Hôtel des Vagues», sur la côte bretonne, et un mystérieux jeune homme, Allan, dont on comprendra à la fin de l'histoire qu'il était venu là pour se suicider avec sa compagne. Outre une méditation sur la mort volontaire (derrière laquelle se devine l'évocation des «suicidés» du surréalisme, Jacques Rigaut et Jacques Vaché), le roman développe, sous la forme de longs dialogues, une réflexion sur la littérature qui sera poursuivie dans les grandes œuvres théoriques ultérieures[39]. Proposé pour le Prix Renaudot, Un Beau ténébreux obtient trois voix, ce qui attire l'attention sur Le château d'Argol[40], qui est rééditée la même année. L'ensemble des comptes-rendus ne sont d'ailleurs pas élogieux : Étiemble surtout exécute dans Les Temps modernes la première œuvre de l'écrivain, en laquelle il dénonce un exercice de style artificiel et prétentieux[41]. À l'inverse, Maurice Blanchot, qui avait apprécié Argol, est déçu par le second roman[42].

L'année suivante paraît un recueil de poèmes en prose, Liberté grande, d'inspiration surréaliste et rimbaldienne, rédigés entre 1941 et 1943, qui pour certains ont été publiés dans des revues proches de la mouvance surréaliste. L'ouvrage sera augmenté de plusieurs textes lors de rééditions ultérieures, et surtout de «La sieste en Flandre hollandaise», un des chef d'œuvres de la prose gracquienne[43].

Julien Gracq quitte l'université de Cæn en 1946. Il est appelé l'année suivante au lycée Claude-Bernard de Paris, où il enseigne l'histoire-géographie jusqu'à sa retraite en 1970, se montrant un enseignant d'une pointilleuse exactitude, qui «s'arrangeait pour que son discours s'achève à la seconde même où se déclenchaient les sonneries[44]». Il habite rue de Grenelle à côté de la fontaine des Quatre Saisons.

C'est en 1948 qu'est publié le premier grand ouvrage critique de Julien Gracq : il est consacré à André Breton, envisagé non pas comme chef de file du mouvement surréaliste mais bien comme écrivain, mais aussi l'indique son sous-titre : Quelques aspects de l'écrivain. Pour tout autant, le choix de ce sujet d'étude, hormis qu'il correspond à un désir ancien d'écrire sur l'auteur de Nadja, s'inscrit dans un contexte de polémique autour de la nature et de l'actualité du surréalisme en regard des orientations nouvelles de la littérature «engagée» : en 1945, Benjamin Péret a rédigé Le Déshonneur des poètes, qui dénonçait la notion de poésie engagée. En 1947, lui répondent Roger Vailland, dans un pamphlet intitulé Le Surréalisme contre la révolution et Tristan Tzara dans une conférence sur Le surréalisme et l'après-guerre, alors que Jean-Paul Sartre explique au même moment que «le surréalisme n'a plus rien à nous dire»[45]. En s'intéressant à la figure de Breton, Julien Gracq prend le parti de Breton et de Péret, aux côtés de Maurice Blanchot, de Jules Monnerot et de Georges Bataille, contre les «compagnons de route» du Parti communiste, Sartre en tête, envers qui il manifestera une hostilité constante[46].

La même année est publié Le Roi Pêcheur, une adaptation théâtrale du mythe du Graal rédigée entre 1942-1943. La pièce est représentée à Paris, au théâtre Montparnasse, dans une mise en scène de Marcel Herrand, avec des costumes et des décors créés par Leonor Fini. Maria Casarès et Jean-Pierre Mocky interprètent les rôles principaux. Le Roi pêcheur est éreinté par la critique, qui reproche à son auteur, ou bien d'avoir laïcisé le mythe, ou bien de ne pas l'avoir adapté au goût moderne[47]. Le fait que cette «entreprise au ton scolaire et [qui] pue l'artifice» (Robert Kemp dans Le Monde[48]) ait bénéficié d'un financement public délivré par la Commission d'aide à la première pièce (dépendant du Ministère de l'Éducation nationale) renforce la virulence de certains de ces critiques, qui ne manquent pas de noter que le ministre en personne était présent à la première et qu'il est sorti avant la fin de la pièce[49]. Ulcéré, Gracq renonce à écrire pour le théâtre (il traduira néanmoins la Penthésilée d'Heinrich von Kleist en 1953, à la demande de Jean-Louis Barrault[50]). Il règle ses comptes avec la critique l'année suivante, en publiant dans Empédocle, la revue d'Albert Camus, «La Littérature à l'estomac», un texte dont le style rappelle celui des pamphlets surréalistes[51]. Dans ce livre que l'historienne Ariane Chebel d'Appollonia a qualifié de «pavé [jeté] dans la mare de l'intelligentsia parisienne[52]» sont dénoncés les différents dispositifs de promotion moderne de la littérature, accusés de dénaturer la relation intime qui doit s'établir entre l'œuvre et son lecteur[51].

Avec le Rivage des Syrtes, publié en septembre 1951, Gracq renoue avec l'écriture romanesque. L'histoire de la déclinante principauté d'Orsenna, l'atmosphère de fin de civilisation qui l'imprègne (et qui transpose sur le mode mythique les époques de la montée du nazisme et de la drôle de guerre[53]), son écriture hiératique, séduisent la critique, qui encense ce roman qui va à contre-courant d'une production littéraire dominée par l'éthique et l'esthétique existentialistes[54]. Le roman est d'autre part fréquemment comparé au Désert des Tartares de Dino Buzzati, dont la traduction française a été publiée quelques temps jusque là mais Julien Gracq réfutera le fait qu'il ait pu être influencé par le roman de l'écrivain italien, et évoquera comme source d'inspiration La Fille du capitaine de Pouchkine[55]. Paru en pleine rentrée littéraire, Le Rivage des Syrtes fait partie des romans choisis pour le prix Goncourt, pour l'obtention duquel il fait bientôt office de favori. Peu soucieux de laisser croire «qu'après avoir sérieusement détourné peut-être quelques jeunes (peu nombreux, qu'on se rassure) de la conquête des prix littéraires, [il] songe désormais à la dérobée à [se] servir», Gracq rédigé au Figaro littéraire une lettre ouverte dans laquelle il s'affirme, «aussi fermement que envisageable, non candidat[56]». Il réitère le lendemain, dans un entretien accordé à André Bourin, sa décision de refuser le prix s'il lui est attribué. Le 3 décembre, le jury du Goncourt rend son verdict : le prix 1951 est attribué à Julien Gracq pour le Rivage des Syrtes, à l'issue du premier tour, par six voix contre trois[57]. Conformément à ce qu'il avait annoncé, Gracq refuse le prix. Il est le premier écrivain à agir ainsi, ce qui génère une importante polémique dans les médias[58]. Julien Gracq restera marqué par ce qui lui est apparu comme un abus de pouvoir, et s'abstiendra désormais de toute intervention directe sur la scène littéraire[59].

La théorie et la pratique de la littérature

Monthermé, en bord de Meuse, qui apporte le modèle de Moriarmé dans Un Balcon en forêt

L'emploi du temps de Julien Gracq, depuis son affectation au lycée Claude Bernard, se partage entre Saint-Florent-Le-Vieil et Paris, l'enseignement, l'écriture et les voyages, qu'il effectue plutôt en fin d'été ou au début de l'automne (la période des «grandes vacances» étant plutôt dévolue à l'écriture), en France ou dans les pays voisins, quelquefois pour des conférences[60].

En 1953, il fait la connaissance de Nora Mitrani, sociologue et poétesse, membre du groupe surréaliste de Paris. Le couple fréquente Élisa et André Breton, visite André Pieyre de Mandiargues à Venise, etc. [61]. Gracq restera particulièrement discret sur ce sujet et n'évoquera jamais publiquement sa liaison avec la jeune femme[62], qui meurt en 1961 et dont il préfacera le recueil posthume Rose au cœur violet (1988) [63].

En parallèle, Julien Gracq continue à construire son œuvre. En 1952, il publie, dans une édition hors-commerce limitée à soixante-trois exemplaires, un texte rédigé entre 1950 et 1951 : Prose pour l'Étrangère, un poème en prose qui, par son écriture comme par sa thématique, n'est pas sans rappeler Le Rivage des Syrtes (et où se pose par conséquent de manière aiguë la question du rapport qu'entretient l'œuvre narrative de Gracq, volontiers poétique dans son écriture, avec le genre du poème en prose[64]). Entre 1953 et 1956, il entreprend la rédaction d'un autre grand roman a-temporel, dans la lignée du Rivage des Syrtes, et qui doit évoquer le siège d'une ville dans un pays déjà tombé aux mains de l'ennemi[65]. Mais au bout de trois ans et de deux cent cinquante pages rédigées, Gracq se sent bloqué dans son processus de création, ce qui est presque une constante chez lui quand il crée une œuvre de fiction : au moment où il parvient à la dernière partie du récit, le fil «qui joint le travail fait au travail à faire» se rompt, pendant plusieurs mois, un an même dans le cas du Rivage de Syrtes[66]. Il interrompt alors – provisoirement, pense-t-il à ce moment-là – l'écriture de ce roman pour se lancer dans un autre projet d'écriture : celui d'un récit ancré dans cette période de la drôle de guerre qui l'avait tant frappé. Le roman interrompu ne sera finalement jamais repris (seules vingt pages subsisteront, qui seront publiées en 1970 dans le recueil La Presqu'île, sous le titre de «La Route»[67]). Quant au récit sur la drôle de guerre, intitulé Un balcon en forêt, il est publié en 1958. Cette histoire des vacances oniriques de l'aspirant Grange dans la forêt ardennaise déconcerte la critique, qui ne s'attendait pas à ce que l'auteur du Rivage des Syrtes produise une fiction «réaliste[68]» (ce qualificatif sera récusé par Gracq[69], qui n'envisageait pas le Balcon comme une rupture comparé aux livres qui ont précédé[53]). Le metteur en scène Michel Mitrani, frère de Nora Mitrani, en tirera en 1979 une adaptation cinématographique qui conserve le même titre.

Edward Burne-Jones, Le roi Cophetua et la mendiante vierge (1884), tableau évoqué dans la nouvelle de Gracq «Le roi Cophetua»

Le texte suivant, Prédilections (1961), renoue avec la veine critique inaugurée avec André Breton, Quelques aspects de l'écrivain, et qui sera spécifiquement explorée par Gracq au cours des années suivantes. L'ouvrage est en fait un recueil de textes rédigés depuis 1945, qui reprend préfaces (comme «Le Grand paon» - à propos de Chateaubriand), études littéraires («Spectre du Poisson soluble»), entretien radiophonique («Les yeux bien ouverts»), mais aussi le pamphlet La Littérature à l'estomac et une conférence prononcée en 1960, «Pourquoi la littérature respire mal», où se remarque l'influence des thèses d'Oswald Spengler sur le «déclin de l'Occident[70]». De cet ensemble émergent effectivement les prédilections littéraires de Gracq : son goût pour Jünger, Lautréamont, Rimbaud, Pœ, Breton, les romantiques allemands, et certaines œuvres marginales d'auteurs classiques (Béatrix de Balzac, Bajazet de Racine... ), son refus de l'esthétique existentialiste et de la littérature techniciste que forme selon lui le Nouveau roman[71].

Lettrines I (1967), poursuit sur la lancée des textes critiques, auxquels sont associées des évocations de lieux, le tout relié autour d'un noyau autobiographique[72], ce qui forme un infléchissement inattendu de l'œuvre d'un auteur aussi discret que Julien Gracq. En réalité, seules deux périodes de sa vie sont évoquées : l'enfance et la guerre. Et toujours la seconde n'est-elle traitée qu'à travers l'épisode, empreint d'irréalité, de «la nuit des ivrognes», qui revient sur la débâcle de 1940 déjà évoquée dans Un Balcon en forêt[72]. Il n'y a en fin de compte que les souvenirs d'enfance de Louis Poirier qui sont traités sur un mode réaliste[73]. La forme de ce livre est elle aussi nouvelle, constituée d'une juxtaposition de «notes» ou de «fragments[74]», extraits de cahiers sur lesquels, depuis 1954[75], Julien Gracq jette notes ou textes plus élaborés. De ces mêmes cahiers naitront Lettrines II (1974), En lisant en écrivant (1980) et les Carnets du grand chemin (1992) [72].

La Presqu'île, qui paraît trois ans plus tard, marque les adieux de Julien Gracq à la fiction. Dans ce recueil sont réunies trois nouvelles : «La Route», vestige du grand roman commencé après Le Rivage des Syrtes, qu'il semble prolonger ; «La Presqu'île», récit du désir et de l'attente dans la presqu'île de Guérande, dont le réalisme rappelle en même temps qu'il met à distance le nouveau roman ; enfin «Le Roi Cophetua», qui peut être lu comme une variation autour du mythe de Perceval, transposé dans le cadre d'une maison de campagne dans la banlieue de Paris en 1917[76]. De cette dernière nouvelle, le cinéaste belge André Delvaux a tiré en 1971 un film intitulé Rendez-vous à Bray, reconnu comme la meilleure adaptation à ce jour d'une œuvre de Gracq pour le cinéma[77].

La consécration critique

En 1970, Louis Poirier fait valoir ses droits à la retraite et , le 30 juin, se rend pour un séjour de deux mois aux État-Unis, où il a été invité par l'université du Wisconsin en qualité de visiting professor. Il y donne des cours sur le roman français après 1945, anime un séminaire sur André Breton, et va rendre visite à August Derleth, l'ancien collaborateur de Lovecraft[78]. De retour en France, il poursuit la publication de ses cahiers, avec Lettrines II (1974), puis Les Eaux étroites (1976), où il évoque le souvenirs des promenades qu'il faisait enfant sur les bords de l'Erdre, et en particulier En lisant en écrivant (1980), qui marque un tournant dans la réception critique de son travail : l'œuvre romanesque est relégué au second plan, tandis qu'est mis en avant le travail critique et réflexif du lecteur au regard précis et profond qu'est Julien Gracq[79]. Réunis en seize sections, les fragments/notes qui composent En lisant en écrivant (sans virgule entre les deux, pour signifier l'absence de solution de continuité dans la vie d'un écrivain entre l'activité de la lecture et celle de l'écriture[80]) évoquent Stendhal, Proust, Flaubert, le surréalisme, les rapports entre la littérature et la peinture, la littérature et le cinéma, etc.

Le début des années 1980 marque aussi la reconnaissance officielle de Julien Gracq par l'institution universitaire : en mai 1981, un premier grand colloque est organisé autour de son œuvre à l'Université d'Angers[81]. L'année suivante, Le Rivage de Syrtes est mis au programme de l'agrégation de lettres modernes[82]. Michel Murat termine en 1983 une importante thèse sur ce roman, qui est ensuite publiée en deux volumes aux éditions José Corti[83]. À la fin de cette même décennie, c'est le milieu littéraire qui rend hommage à Julien Gracq : les éditions Gallimard entreprennent, honneur particulièrement rare, de publier, de son vivant, ses œuvres dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque de La Pléiade. Les deux tomes des Œuvres complètes de Julien Gracq sont publiés respectivement en 1989 et 1995, dans une édition établie sous la direction de l'universitaire allemande Bernhild Boie, qui avait en 1966 publié (en Allemand) l'un des tous premiers livres consacré à Gracq[84], et que ce dernier choisira pour être son exécutrice testamentaire[85].

De son côté, ce dernier publie ses trois dernières œuvres, dont deux sont consacrées à des villes : La Forme d'une ville (1985), où est évoqué le Nantes des années d'internat de Louis Poirier, mais également celui de Jules Verne, d'André Breton et de Jacques Vaché[86] ; et Autour des sept collines (1988), qui regroupe un certain nombre de réflexions rédigées à propos d'un voyage en Italie en 1976[87]. Enfin, en 1992, les Carnets du grand chemin renouent avec le veine des Lettrines, mêlant évocations de paysages, fragments autobiographiques et réflexions sur le littérature[88]. Ces Carnets marquent la fin de l'œuvre publié de Julien Gracq, si on excepte le recueil des Entretiens qui paraissent aux éditions José Corti en 2002 et qui réunissent des interviews données par Julien Gracq entre 1970 et 2001. Ouvrage qui, sans faire à proprement parler partie de l'œuvre, en est une forme de prolongement[89]. S'il continue tout de même à écrire dans ses carnets, il ne s'agit plus que de «textes bruts» qui ne sont pas conçus pour devenir des ouvrages publiés[90].

Saint-Florent-le-Vieil

Après avoir longtemps vécu dans son appartement de la rue de Grenelle à Paris, Julien Gracq se retire dans la maison familiale de la Rue du Grenier-à-Sel à Saint-Florent-Le-Vieil, où il vit en compagnie de sa sœur, qui disparaît en 1997. Quoiqu'ayant toujours tenu ses distances avec les milieux littéraires, il entretient plusieurs correspondances épistolaires et reçoit écrivains et chercheurs[91] dans la maison familiale devenue trop grande pour lui et dont il ne chauffe plus toutes pièces[92]. Quelques mois avant sa mort, il accorde un dernier entretien à Dominique Rabourdin pour Le Magazine littéraire. Il y évoque sa disparition prochaine, dont la perspective, explique-t-il, «ne [le] scandalise pas» : «quoique particulièrement proche pour moi, sa pensée ne m'obsède pas : c'est la vie qui vaut qu'on s'en occupe[93]

Julien Gracq s'éteint le 22 décembre 2007. La presse est unanime à lui rendre hommage[94]. Par testament, il a légué la totalité de ses manuscrits à la Bibliothèque nationale (une copie devant en être adressée à la Bibliothèque universitaire d'Angers. ) Ceux-ci comprennent surtout la totalité de 29 cahiers de fragments intitulé Notules, soit trois mille cinq cents pages qui n'ont que partiellement été publiées, surtout dans les deux volumes de Lettrines. La partie inédite ne pourra être divulguée que vingt ans après la mort de l'écrivain[95]. Les autres biens de Julien Gracq (meubles, photographies, correspondance avec André Breton, Jean-Louis Barrault, éditions originales accompagnées d'envois, etc. ) ont été vendus aux enchères à Nantes le 12 novembre 2008[96]. Cette vente a atteint 700 000 euros[97].

Les œuvres de Julien Gracq ont été traduites en vingt-six langues[98].

L'écriture-mouvement

L'un des reproches que Julien Gracq adressait à la critique littéraire était de concevoir les œuvres comme des structures, de tenir «sous son regard le livre comme un champ déployé» et d'y chercher «des symétries, des harmonies d'arpenteur», tandis que ses «secrets opératoires y relèvent exclusivement de la mécanique des fluides[99].» C'est à dire, pour Gracq, la littérature, y compris le roman, est rythme, «pur mouvement, prise de possession de l'espace et projection vers l'avenir» commente Bernhild Boie[100], bien davantage que construction. L'analyse des manuscrits de Julien Gracq a d'ailleurs montré qu'il ne s'astreignait pas à fabriquer de plan pour ses romans, qu'il n'y avait pas chez lui mise en place de stratégie romanesque préalable à l'écriture[101]. C'est dans le mouvement même de l'écriture que se construit le roman, son style, son rythme, quasiment sans retour de l'auteur sur ce qu'il a rédigé. Il n'y a pas trace dans les brouillons de Gracq de longs passages supprimés, ou de chapitres déplacés[102] : «j'écris toujours en suivant l'ordre du déroulement du récit», confiait Gracq à Jean Roudaut[103]. L'image qui symboliserait le mieux ce mouvement de l'écriture gracquienne serait, selon Bernhild Boie, celle qu'on trouve dans la nouvelle La Presqu'île, où il est rédigé que «toute [la] course de l'après-midi avait penché vers cette route perdue où la voiture accélérait et prenait le dernier relais [... ] jamais il n'était arrivé à la mer autrement que comme un cycliste dévale une pente, le cœur battant du sentiment de l'espace qui se creuse, de l'ensemble des freins lâchés [... ]» ; texte qui selon elle «reproduit particulièrement précisément le mouvement essentiel, et du livre d'où il est tiré et de l'œuvre de Gracq dans son ensemble[104].» Les romans de Gracq semblent ainsi reproduire les derniers moments des Aventures d'Arthur Gordon Pym : une dérive, lente en premier lieu, puis qui va s'accélérant à mesure qu'on s'approche de la catastrophe finale. C'est ce que Gracq expliquait dans un entretien de 2001 avec la même Bernhild Boie :

«Ce que j'écris, dans mes ouvrages de fiction, coule dans le lit du temps, va vers quelque chose, ne comporte pas, ou particulièrement peu, de bifurcations, de retours en arrière, d'inclusions parasitaires ou de péripéties [... ] Ces livres ne peuvent guère agir s'ils ne donnent pas le sentiment d'un mouvement porteur, continu, qui les mène moins peut-être vers un point final que plutôt vers une espèce de cataracte[105]

Cette pratique de la littérature, qui procède exclusivement en allant de l'avant, et qui, de la même manière que la lecture «progresse selon un vecteur unique[106]», nécessite par conséquent que, dès l'incipit, soit trouvé l'angle d'attaque qui permettra de mener l'œuvre à son terme, faute de quoi elle est irrémédiablement perdue. C'est l'expérience qu'a faite Julien Gracq avec le roman inachevé dont il n'a pu sauver que le fragment intitulé «La Route» : le récit s'était dès le départ trompé dans une impasse, ce dont l'écrivain ne s'est rendu compte qu'après trois ans de travail. Il a alors fallu abandonner définitivement le projet. Dans un entretien de 1981, Gracq confiait que «le livre est mort de ce qu'[il] n'avai[t] pas choisi, pour l'attaquer, le ton juste : une erreur qui ne se rattrape guère[107]

La maturation de l'écriture

Dans l'ouverture de En lisant en écrivant, Julien Gracq distinguait entre deux types d'écrivains : ceux qui, «dès leur premier livre, écrivent déjà comme ils écriront toute leur vie» et ceux «qui voient le jour du public toujours immatures, et dont la formation, quelquefois assez longuement, se parachève sous les yeux mêmes des lecteurs[108].» S'il est probablement discutable de classer Gracq dans la seconde catégorie[109], l'évolution de son style est perceptible entre les premiers et les derniers rédigés. Le même mouvement qui préside à l'élaboration de chaque ouvrage se retrouve dans le mouvement général de l'œuvre : c'est au fil de l'écriture que s'est affiné le style, le rythme propre de l'écriture gracquienne[110]. La structure de la phrase s'est aérée et s'est désencombrée de ces adjectifs et de ces adverbes qui agaçaient tellement Étiemble dans le Château d'Argol[111]. Le lexique abandonne progressivement la tonalité impressionniste pour chercher à rendre avec la plus grande précision envisageable l'acuité de la vision dont procède l'écriture[112]. Ce que Gracq a lui-même qualifié de passage des «mots-climat» aux «mots-nourriture», les premiers visant à provoquer un «ébranlement vibratile», à la manière d'un «coup d'archer sur l'imagination», à l'endroit où les deuxièmes, plus «compacts», visent à être «happ[é]» par l'oreille «un à un, comme le chien les morceaux de viande crue[113]

Ce mouvement qui mène l'écrivain vers sa maturité stylistique est indissociable de l'évolution qui l'a mené d'une fiction fortement teintée de références d'ordre fantasmatique à l'écriture par fragments ainsi qu'à intégrer la réalité historique et géographique dans ses livres, puis à faire une place discrète à l'autobiographie[114].

Les fictions

On peut cependant repérer des invariants dans les fictions de Julien Gracq. Hubert Haddad a ainsi fait remarquer que la scénographie des romans était environ toujours la même : «un lieu clos, mais frontalier[115].» Un château (Au château d'Argol), un hôtel (Un beau ténébreux), une forteresse (Le Rivage des Syrtes), une Maison forte (Un balcon en forêt. ) Quant à la frontière, elle est figurée la majorité du temps par la mer, en laquelle on a pu déceler l'élément essentiel du récit gracquien[116], ou, dans le dernier cas, par la forêt (elle-même localisée sur la frontière entre la France et la Belgique. ) C'est dans cet espace-frontière, ce seuil entre l'Ici et l'Ailleurs, cet entre-deux[117] que se meuvent des personnages qui sont eux-mêmes, «comparé à la société, dans une situation de "lisière", par une guerre, par des vacances, par une disponibilité quelconque. De sorte que cette mise sous tension du lieu de l'action mobilise plus décisivement des personnages qui sont eux-mêmes momentanément désancrés», expliquait Julien Gracq à Jean Carrière[118]. L'ensemble des fictions de Gracq sont construites à partir de cet entre-deux, à la fois spatial (matérialisé par la frontière) et temporel : elles sont dans l'attente de l'évènement décisif, celui vers lequel tend «[l']accroissement progressif de la pression» qui les conduit «jusqu'à un moment de bascule», explique Michel Murat[119].

Néanmoins, entre les premières et les dernières fictions, on observe de nets infléchissements. Le premier roman, Au château d'Argol (1938), s'écartait fermement de toute réalité référentielle comme de toute expérience vécue : l'espace construit y est purement imaginaire[120]. Selon Gracq en effet, la création d'un univers diégétique autonome et scindé du réel est l'une des conditions nécessaires de la fiction. Il s'en est expliqué dans Lettrines, écrivant que :

«Lorsqu'il n'est pas songe et , comme tel, idéalement établi dans sa vérité, le roman est mensonge, quoi qu'on fasse, ne serait-ce que par omission, et d'autant plus mensonge qu'il cherche à se donner pour image authentique de ce qui est[121]

Pourtant, à partir du Rivage des Syrtes (1951), même si l'univers reste fictif, commencent à être mobilisées l'expérience historique de l'auteur (la «Drôle de guerre») et ses connaissances géographiques[122]. Mais c'est en particulier avec Un balcon en forêt (1958) que se produit la rupture, puisque pour la première fois l'univers de la fiction se confond avec l'univers réel. Confusion qui reste partielle, cependant, puisque si l'action se déroule dans les Ardennes, à la frontière entre la France et la Belgique, les lieux qui forment le cœur de la fiction portent des noms fictifs (Moriarmé, Les Falizes. ) De même, dans la nouvelle «La Presqu'île», le nom de Guérande est masqué par son nom breton de Coatliguen[123]. Il n'en reste pas moins qu'à partir de ce moment, le besoin de fiction semble se faire moins impérieusement ressentir, que la mise à distance de la vie et de l'expérience de l'auteur devient moins indispensable, ou alors est ressentie comme un détour inutile[124]. L'imaginaire ne se substitue plus au réel : «dans l'œuvre tardive, explique Michel Murat, le mythe colore le réel plus qu'il ne le construit[125]

La littérature fragmentaire

C'est à partir de 1954, soit au moment même où il se rendait compte que le roman qu'il était en train d'écrire était dans une impasse, que Julien Gracq commence à écrire sur un nouveau support : le cahier (il avait jusque là l'habitude d'écrire sur des feuilles volantes[126]. ) Il entreprend alors d'écrire dans une forme nouvelle pour lui : de petits textes non fictionnels et sans lien précis les uns avec les autres. Ce type d'écriture, en premier lieu marginal dans la production de l'écrivain, va progressivement remplacer l'écriture de fictions, au point que, outre La Forme d'une ville (1985), pour lequel il revient aux feuilles volantes, toute sa production rédigée postérieure à La Presqu'île (1970) ne se fera plus que sur ces cahiers, à raison d'un peu moins de quatre-vingt pages par an environ[127].

Les textes de ces cahiers ne sont nullement des brouillons, des esquisses préparatoires pour des œuvres futures : tous, qu'il s'agisse de notes brèves ou de fragments plus longs et plus élaborés, sont littérairement achevés et , comme pour les romans, on y décèle peu de ratures et de reprises[128]. Il ne s'agit pas non plus d'esquisses de journal intime, pas plus que de notes prises sur le vif, y compris pour les textes qui, consacrés à Rome, sont réunis dans Autour des sept collines (1988) [129]. L'esthétique à laquelle obéit le plus «cette prose désamarrée de toute urgence romanesque[130]» doit selon Bernhild Boie être recherchée du côté du fragment romantique, telle qu'il a été défini par Friedrich Schlegel :

«Pareil à une petite œuvre d'art, un fragment doit être complètement détaché du monde environnant, et clos sur lui-même comme un hérisson[131]

Michel Murat par contre montre quelques réticences à utiliser le terme de «fragments», qui pour lui véhicule trop de connotations théoriques difficilement applicables à l'esthétique des textes de Gracq qui, loin d'être refermés sur eux-mêmes comme des hérissons, communiquent «par l'ensemble des éléments de [leur] substance avec d'autres textes du même ordre, avec l'expérience intime, avec la mémoire des ouvrages rédigés et lus[132]

Le surréalisme

La figure d'André Breton

Masque d'André Breton (sculpture de René Iché, 1930)

Si la découverte du surréalisme, à travers la lecture de Nadja au début des années 1930, a été pour Julien Gracq une révélation[133], c'est en particulier à travers la rencontre avec André Breton qu'elle devait opérer : le premier n'a jamais caché l'admiration qu'il portait à son aîné, avec lequel il était lié par une amitié «un peu cérémonieuse[134]» depuis leur rencontre à Nantes en 1939. Et c'est par lui ainsi qu'à sa demande que Gracq a, de manière parcimonieuse, participé aux activités surréalistes, surtout en publiant des poèmes en prose dans des revues surréalistes (ceux-là même qui seront réunis sous le titre de Liberté Grande en 1946), en acceptant de figurer sur une photo des membres du groupe surréaliste en 1952 et en intervenant, vers la même époque, aux côtés de Breton dans deux polémiques, la première tournant autour du christianisme présumé d'Alfred Jarry, l'autre concernant un supposé déviationnisme de Breton comparé aux principes de l'athéisme[135].

Mais c'est en particulier avec l'essai de 1948, André Breton, quelques aspects de l'écrivain, que se manifeste, à la fois l'hommage de Gracq vis-à-vis de «l'intercesseur» qu'a été pour lui, après Edgar Pœ, Stendhal et Wagner[136], le chef de file du surréalisme, et la prise de parti de Gracq en faveur de ce mouvement.

Le groupe surréaliste n'est néenmoins évoqué dans l'essai qu'à travers la figure de Breton, et il est perçu comme constituant presque le prolongement organique de ce dernier, sans que Gracq ne se sente tenu de s'arrêter à ces autres figures majeures du mouvement qu'ont été Aragon, Artaud, Ernst ou Desnos[137]. L'itinéraire de Breton y est décrit comme réactivant à l'époque moderne le schème mythique de la Quête, celle de la Toison d'Or ou celle du Graal[138], celui grâce à qui le merveilleux traverse les siècles depuis le Moyen-Âge du roi Arthur et de Tristan, après que le flambeau ait passé par les mains de Novalis, Rimbaud et Lautréamont[139]. L'aspect mystique (mais en particulier pas chrétien[140]) de la démarche surréaliste est souligné, l'auteur allant jusqu'à comparer «la haute période du surréalisme» «à l'état naissant d'une religion avortée[141]», et les affinités entre le surréalisme et le romantisme allemand (pour lequel Gracq n'a jamais caché son intérêt[142]) sont plusieurs fois évoquées[143].

Le dernier chapitre de l'essai, «D'une certaine manière de "poser la voix"», est consacré à une analyse du style d'André Breton, dont Gracq relève deux éléments essentiels : un usage à la fois singulier et protéiforme des italiques, et une syntaxe spécifique, qu'il baptise du nom de «phrase-déferlante»[144]. L'italique, chez Breton, ne servirait pas tant à signaler «de façon mécanique» la présence dans la phrase d'un terme technique ou d'un «mot courant pris dans une acception rigoureusement spécifique et déjà définie[145]», qu'à «irradier» d'un bout à l'autre la phrase dans laquelle il est incorporé, à y faire passer «un influx galvanique», «une secousse nerveuse qui la vivifie et la transfigure[146].» Il signale ainsi fréquemment «le point focal autour duquel la pensée a gravité», et autour duquel «la phrase s'organise d'un jet, prend son sens et sa perspective[147].» C'est le langage de l'analyse musicale qui est alors mobilisé pour rendre compte de ces usages des italiques : le mot ainsi souligné fait sentir, «comparé à la phrase, la vibration d'un diapason essentiel[148]», qui «déclenche à l'intérieur même de la langue tout un jeu de claviers [149].» Quant à la «phrase déferlante», elle s'oppose à la «phrase conclusive» : à l'endroit où cette dernière se trouve «conditionnée de toutes parts par la contour rigide et pressenti de ses voisines et ne cherche plus qu'à s'imbriquer dans le contexte — à résoudre un problème mécanique d'emboîtement[150]», la phrase déferlante vise avant tout à conserver ainsi qu'à projeter le plus loin envisageable l'élan de spontanéité d'origine d'où elle a surgi, sans que soit prémédité son point de chute. Ainsi, chez Breton, «jamais [... ] la phrase n'est calculée en vue de sa fin — jamais sa résolution finale, si brillante qu'elle puisse quelquefois apparaître, ne se présente autrement que comme un expédient improvisé sur le champ, une dernière chance qui sert à sortir comme par miracle de l'impasse syntaxique[151]

Cette analyse du style de Breton n'est pas sans faire écho au propre style de Gracq, au point qu'on a fréquemment dit que ce chapitre formait une sorte d'autoportrait littéraire de son auteur[152], qui se serait assimilé André Breton de la même manière que ce dernier s'était incorporé Jacques Vaché[153]. Ainsi, cet essai, «le plus lucidement tendancieux, le plus fidèle, le plus magnifiquement amoureux» qu'on ait consacré à Breton semble avoir été rédigé «dans une prose rivale, comme pour s'incorporer un mystérieux pouvoir d'engendrement[154]», celui qui est prêté dans André Breton au chef de file du mouvement surréaliste.

Cependant, s'il obéit à un désir né depuis la lecture de Nadja d'écrire sur André Breton[155], l'essai éponyme de Julien Gracq n'est pas délié de l'actualité littéraire de son époque : rédigé en 1946, il ne pouvait qu'être partie intégrante du débat de l'après-guerre sur la pertinence ou non de se référer au surréalisme comme point de référence, point de vue contesté surtout par un Jean-Paul Sartre, un Roger Vailland ou encore un Tristan Tzara. En divers lieux de l'essai de Julien Gracq se repère la marque de l'inscription de son André Breton dans cette polémique d'époque : l'invocation de Benjamin Péret ainsi qu'à son pamphlet contre la poésie engagée (Le Déshonneur des poètes) pour définir le surréalisme, l'allusion transparente à l'Existentialisme dans la mention de «l'intellectualisme le plus desséché», etc. [156]

Portée du surréalisme

La dimension polémique n'est pas absente non plus de la conférence intitulée «Le surréalisme et la littérature contemporaine» prononcée à Lille, puis à Anvers en 1949. Il est faux, y explique Gracq, de prétendre avec Sartre et les siens que le surréalisme n'est pas un mouvement engagé. Au contraire, ses animateurs ont engagé leur vie «dans une zone hautement dangereuse, une zone à haute tension, où Artaud a laissé sa raison, Cravan, Vaché, Rigaut, Crevel, leur vie[157].» Grâce au surréalisme, la littérature ne peut plus être reconnue comme un passe-temps, comme une activité de loisir[158]. Cet engagement, explique Gracq, est un engagement profond en faveur de l'Homme, un questionnement sur ce qu'il est , sur «ce que sont ses espoirs permis, ses pouvoirs réels, ses limites, ses perspectives et ses définitives dimensions[159].» Selon l'auteur d'André Breton, ce sont en définitive les mêmes problèmes que ceux que se pose l'humanisme contemporain, celui d'un Jean-Paul Sartre, d'un Albert Camus, d'un André Malraux. Mais l'humanisme de ces derniers, marqué par les défaites de la guerre récente, «se trahit avant tout à ses pâles couleurs ainsi qu'à son extraordinaire manque de santé» : à cause de ceux-là, «jamais peut-être la figure de l'homme n'a été plus toujours rétrécie, plus soulignée son impuissance, plus condamnée son espérance, plus approfondi son souci[160]» Face à eux, le surréalisme représente «l'affirmation plus que jamais indispensable, la réserve inentamée d'un formidable optimisme [... ] En face de l'homme à terre, qui est le thème préféré de la littérature d'aujourd'hui, le surréalisme dresse la figure de l'homme en expansion, triomphant un jour de la mort, triomphant du temps, faisant enfin de l'action la sœur même du rêve[161]

De toute façon, quoi qu'en puissent dire ses détracteurs, le surréalisme a déjà gagné : ayant atteint à ce niveau de profondeur «qui donne à la littérature d'une époque, par-delà des ressemblances toutes formelles, un air de famille qu'elle ne se connait pas elle-même et qu'on lui reconnait un siècle après», il a trouvé quels étaient pour le XXe siècle les équivalents de ce que furent pour leur temps «les potences de Villon, les grecques de Racine, les châteaux lézardés des romans noirs à la veille de 89.» C'est à dire, il a su être «un détecteur inidentique des tendances du subconscient de son époque» ; il lui a donné ses «totems[162]

Limites de l'engagement surréaliste

Si André Breton est resté pour Julien Gracq «un recours obscurément disponible[163]», il s'est toujours tenu à l'écart des activités du groupe surréaliste comme tel, s'abstenant surtout de signer les déclarations collectives même quand elles ont touché aux deux polémiques auxquelles il avait pris part à titre individuel[164]. Plusieurs facteurs ont contribué à le faire se tenir à distance des manifestations surréalistes : l'héritage de Dada, en lequel il ne se reconnait pas[165], la proximité du mouvement avec le Parti communiste[166] (que Gracq avait quitté après l'annonce du pacte Germano-soviétique), la conviction que l'engagement collectif était incompatible avec son activité d'écrivain[167]. Qui plus est , Gracq ne s'intéresse guère à l'écriture automatique, à laquelle il n'accorde d'autres vertus que d'avoir, comme elle relève «du "génie" individuel autant que toute autre activité littéraire consciente», permis l'éclosion de «textes aussi peu gouvernés que ceux du Poisson soluble» d'André Breton[168].

La mort de ce dernier en 1966 contribue toujours davantage à détacher Julien Gracq du surréalisme, dont les dernières manifestations collectives, dans les années 1960 (happenings érotiques, Exécution du testament du marquis de Sade) ne correspondent guère à sa sensibilité[169]. Sur le plan esthétique, la distance est depuis longtemps prise : à l'automne 1946, tandis qu'il écrivait son essai sur Breton, Gracq entamait aussi l'écriture d'un roman «dont le sujet – l'Histoire – devait le porter loin d'André Breton et du surréalisme», explique Bernhild Boie[170]. Avec Un Balcon en forêt, commencé en 1955, la rupture semble consommée : l'abandon de l'épisode de la messe de minuit originellement programmé, et vers lequel devait converger tout le récit, forme pour Michel Murat l'un des signes que «la question surréaliste est bien éteinte : elle emporte avec elle le sacré et les univers fictifs du "roman"[171].» On a cependant pu déceler dans ce livre, où le cadre réaliste se mue perpétuellement par anamorphose en un cadre-rêverie hérité de l'univers du conte féérique[172], comme un rappel du fameux objectif assigné par André Breton dans le Second manifeste du surréalisme en 1930 :

«Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas, cessent d'être perçus contradictoirement. Or, c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point[173]

Selon Hubert Haddad, l'entreprise de Julien Gracq n'a, à sa manière, jamais eu d'autre mobile que l'espoir de détermination de ce point[174].

Critique de la critique littéraire

Si l'œuvre de Julien Gracq a rapidement génèré une foule de commentaires et d'analyses universitaires[175], leur auteur s'est fréquemment montré dubitatif, ou alors hostile face aux entreprises exégétiques, qu'elles concernent ou non ses propres ouvrages. Outre la réserve qui l'a conduit à se maintenir à distance du premier grand colloque organisé autour de son œuvre, auquel il n'a pas participé[176], Gracq, à plusieurs reprises, a précisé dans ses livres quels étaient ses griefs contre la critique savante (ce qui ne l'a pas empêché à l'occasion de recevoir des chercheurs œuvrant à l'exégèse de ses livres[177]. )

Dans un des fragments de Lettrines (1967), Julien Gracq a ainsi reproché à celle-ci de tronquer ses objets d'étude pour les faire entrer dans le lit de Procuste de la théorie :

«Psychanalyse littérairecritique thématiquemétaphores obsédantes, etc. Que dire à ces gens qui, croyant posséder une clef, n'ont de cesse qu'ils aient disposé votre œuvre en serrure ?[178]»

Ce qui est visé ici au premier chef, ce sont quelques-unes des grandes théories interprétatives de l'époque : la critique psychanalytique, le freudo-marxisme et la méthode psychocritique de Charles Mauron, qui avait en 1963 publié Des métaphores obsédantes au mythe personnel (chez le même éditeur que Julien Gracq. ) Quant à la critique thématique, elle vise peut-être directement Jean-Paul Weber, qui dans ses Domaines thématiques (Gallimard, 1963) avait entrepris de commenter, entre autres, les rédigés de Gracq lui-même[179]. Une allusion peu amène à «la critique du non-langage et de "l'écriture au degré zéro"» dans Prédilections (1961) laisse à penser qu'il ne tenait pas non plus en haute estime les premiers rédigés théoriques de Roland Barthes[180]. Mais ce que Gracq, de façon plus générale, reproche à la critique littéraire, à une époque où triomphe la nouvelle critique, c'est sa volonté d'épuiser les significations et les effets des œuvres dont elle s'occupe, sa prétention à détenir un principe d'explication global et définitif[181]. Julien Gracq a déplié cette critique dans plusieurs directions.

L'une de ces directions le conduit à s'interroger sur la dimension pétrifiante des catégories de l'histoire littéraire. Prenant l'exemple de Baudelaire, Gracq s'est amusé du fait que, suivant l'angle sous lequel elle approche son œuvre, celle-ci apparait à la critique, ou bien comme une manifestation tardive du romantisme, ou bien comme constituant l'avant-garde annonciatrice du symbolisme. Or, explique-t-il dans En lisant en écrivant, «tous les mots qui commandent à des catégories sont des pièges», étant donné que, au lieu de les prendre pour ce qu'ils sont , c'est-à-dire de «simples outils», on les confond avec «les catégories originelles de la création», censées baliser des frontières qui par nature, en particulier quand elles sont censées circonscrire le champ d'action des chef-d'œuvres, sont obligatoirement approximatives et fluctuantes[182].

Gracq s'en prend aussi à la dimension téléologique de cette critique savante, telle qu'elle est surtout pratiquée dans les années 1960[183]. Ce que dans une conférence de 1960 intitulée «Pourquoi la littérature respire mal» (repris dans Prédilections l'année suivante) il a nommé la «critique du gaillard d'avant.» Localisée aux avant-postes de la modernité littéraire, elle sait dans quelle direction la littérature se dirige, et d'où doivent venir la nouveauté et l'originalité, comparé aux perspectives de recherches ouvertes par les œuvres actuelles et passées Or, une œuvre véritablement novatrice n'est pas uniquement nouvelle comparé aux œuvres qui l'ont précédé, elle l'est aussi comparé aux perspective qu'ouvraient ces dernières : ainsi, la vraie nouveauté, explique Gracq, peut particulièrement bien être, au sens propre, réactionnaire, comme l'a en son temps été l'œuvre de Stendhal, invisible au milieu du romantisme, «non à cause de ses qualités sans emploi, comme on le dit fréquemment, mais plutôt parce qu'elle renvoie, de façon agressive, à l'idéologie du Directoire[184]

Si les tendances les plus avancées de la critique littéraire des années 1960 sont ainsi épinglées par Julien Gracq, la critique universitaire respectant les traditions fait aussi l'objet de réticences : la recherche patiente et exhaustive des sources des œuvres passe elle aussi à côté de la majeure partie de ce qu'elle prétend éclaircir. En effet, on a beau vouloir retrouver les sources des Liaisons dangereuses ou reconstituer la genèse de Madame Bovary, ce qu'on ne pourra jamais reconstituer, «ce sont les fantômes de livres successifs que l'imagination de l'auteur projetait en avant de sa plume». Or, ces livres-fantômes, «rejetés par millions aux limbes de la littérature» parce qu'ils n'ont jamais connu un commencement d'exécution, lorsque bien même ils n'ont jamais existé que dans l'imagination de l'écrivain, sont plus importants que l'étude des brouillons pour comprendre la genèse de l'œuvre rédigée. Ils continuent en effet à hanter le livre, «c'est leur fantasme qui a tiré, halé l'écrivain, excité sa soif, fouetté son énergie — c'est dans leur lumière que des parties entières du livre, quelquefois, ont été rédigées[185].» C'est ainsi que toute la première partie du Balcon en forêt «a été rédigée dans la perspective d'une messe de minuit aux Falizes» dont le projet finalement abandonné a informé l'écriture du livre, ou que «Le Rivage des Syrtes, jusqu'au dernier chapitre, marchait au canon vers une bataille navale qui ne fut jamais livrée[186]

Mais dans le fond, ce que Gracq reproche à la critique institutionnelle, c'est de se poser en «métier[187]», métier pour lequel il a dans En lisant en écrivant des mots particulièrement durs : «quelle bouffonnerie, au fond, et quelle imposture, que le métier de critique : un expert en objets aimés ![188]» L'agacement de Gracq n'épargne pas même Paul Valéry, pour lequel il éprouve néenmoins une certaine sympathie[189], quand ce dernier se lance dans des réflexions sur la littérature qui révèlent «un écrivain chez qui le plaisir de la lecture atteint à son minimum, le souci de vérification professionnelle à son maximum.»

«Sa frigidité naturelle en la matière fait que, chaque fois qu'il s'en prend au roman, c'est à la manière d'un gymnasiarque qui critiquerait le manque d'énergie des mouvements du coït : il se formalise d'un gaspillage d'énergie dont il ne veut pas connaître l'enjeu[190]

La métaphore érotique révèle en creux le type de critique littéraire qui trouve grâce aux yeux de Gracq : une critique passionnée, qui n'évacue pas la dimension désirante d'une lecture qui engage le lecteur à la manière d'un coup de foudre, avec ses vertiges et ses dangers, une critique qui relève d'un investissement personnel sensuel et profond[191] :

«Car après tout, si la littérature n'est pas pour le lecteur un répertoire de femmes fatales, et de créatures de perdition, elle ne vaut pas qu'on s'en occupe[192]

Œuvres

Tous les ouvrages de Julien Gracq ont été publiés aux éditions José Corti – il a toujours refusé que ses livres soient publiés au format poche[193] – à l'exception de Prose pour l'étrangère, publié à 63 exemplaires dans une édition hors-commerce, et qui n'est repris que dans l'édition de la Bibliothèque de la Pléiade. Celle-ci compte deux volumes, publiés en 1989 et 1995 sous la direction de Bernhild Boie. Elle regroupe la totalité des textes mentionnés dans la bibliographie suivante, à l'exception des deux derniers entretiens parus dans le recueil publié en 2002 et de Plénièrement.

Bibliophilie

  • Au château d'Argol, avec 15 eaux-fortes à pleine page de François Lunven, Les Francs bibliophiles, 1968, in-4, en feuilles, chemise et étui.
  • La Route, avec huit pointes-sèches sur double page dans le texte de Jean-Michel Mathieux-Marie, Les Bibliophiles de France, 1984, petit in-8 à l'italienne, en feuilles, emboîtage.
  • Les Eaux étroites, avec huit eaux-fortes dans le texte de Olivier Debré, Les Pharmaciens bibliophiles, 1997, in-folio, en feuilles, emboîtage.

Discographie

  • Les Prédilections de Julien Gracq. Entretiens avec Jean Daive et Jean Paget, Ina/France Culture/scam, coll. «Les grandes heures», 211873, 2006 (entretiens radiophoniques, 2 CD)
  • Œuvres, Editions Des femmes-Antoinette Fouque, coll. «La bibliothèque des voix», 2004 (lectures par l'auteur d'extraits de ses livres, 2 CD)

Adaptations

Bibliographie

Le fonds Julien Gracq de la bibliothèque universitaire d'Angers propose une bibliographie particulièrement complète des œuvres de Gracq mais aussi des ouvrages et études qui lui ont été consacré.

Les ouvrages et revues consultés pour la rédaction de cet article sont notés par le symbole : Ouvrage utilisé pour la rédaction de cet article.

Ouvrages

  • Philippe Berthier, Julien Gracq critique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1990.
  • Alain-Michel Boyer, Julien Gracq, Paysages et mémoire, Nantes, éd. Cécile Defaut, 2007.
  • Jean Carrière, Julien Gracq, qui êtes-vous ?, Lyon, La Manufacture, 1986.
  • Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphane Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt / La presqu'île, Paris, Atlande, 2007
  • Simone Grossman, Julien Gracq et le surréalisme, Paris, José Corti, 1980.
  • Hubert Haddad, Julien Gracq. La Forme d'une vie, Paris, Éditions Zulma, 2004.
  • Pierre Jourde, Géographies imaginaires de quelques inventeurs de mondes au XXe siècle. Gracq, Borges, Michaux, Tolkien, José Corti, 1991.
  • Philippe Le Guillou, Le Déjeuner des bords de Loire, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2007.
  • Jean-Louis Leutrat, Julien Gracq, Paris, Seuil, coll. «Les contemporains», 1991.
  • Jean de Malestroit, Julien Gracq. Quarante ans d'amitié 1967-2007, Editions Pascal Galodé, coll. «Univers littératures», 2008.
  • Michel Murat, L'Enchanteur réticent, essai sur Julien Gracq, Paris, José Corti, 2004.
  • Jean Pelletier, Julien Gracq, vérités et légendes, Paris, Éditions du Chêne, 2001.
  • Maël Renouard, L'œil et l'attente : sur Julien Gracq, Chambéry, Comp'Act, 2003.
  • Bernard Vouilloux, Julien Gracq. La Littérature habitable, Paris, Éditions Hermann, 2007.

Revues et ouvrages collectifs

  • Julien Gracq, Cahier de l'Herne n°20, 1972 (rééd. Le Livre de poche, coll. «Biblio-essais», 1997)
  • Revue 303, n° 93, novembre 2006, numéro entièrement consacré à l'écrivain.
  • Le Magazine littéraire, n°179, décembre 1981 et n° 465, juin 2007, dossiers consacrés à Julien Gracq.
  • La Revue des lettres modernes, série de cinq monographies consacrées à l'œuvre de Julien Gracq.

Liens externes

Notes et références

  1. Alain-Michel Boyer, Julien Gracq, Paysages et mémoire, p. 42.
  2. Entretien avec Jean Carrière (1986), in Julien Gracq, Entretiens, José Corti, 2002, pp. 109-111.
  3. Bernhild Boie, «Chronologie», in Julien Gracq, Œuvres I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. LXIII.
  4. Michel Murat, Julien Gracq. L'Enchanteur réticent, Paris, José Corti, 2004, pp. 331-332.
  5. Michel Murat, op. cit. , pp. 332-333.
  6. Murat, op. cit. , p. 333. Un balcon en forêt (1958) s'ouvre par une épigraphe reproduisant les premiers vers de cet opéra.
  7. Entretien avec Jean Carrière, in Julien Gracq, op. cit. , p. 130.
  8. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. LXVII.
  9. Murat, op. cit. , p. 333.
  10. Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, p. 148-150.
  11. Alain-Michel Boyer, Julien Gracq, paysages et mémoire, p. 20.
  12. Jacques Boislève précise que «la familiarité de Julien Gracq avec les échecs remonte à loin» et que de 1937 à 1939 Gracq a participé à des tournois à Brest et Lorient dans «Julien Gracq joueur d'échecs : du petit théâtre au grand jeu», Revue 303, n°93, novembre 2006, p. 180-184.
  13. B. Boie, in Gracq, op. cit. , pp. LXVIII-LXIX
  14. B. Boie, in Gracq, op. cit. , p. LXIX.
  15. B. Boie, in Gracq, op. cit. , pp. LVIII-LXIX.
  16. Il confesserait cependant avoir rédigé de fort mauvais alexandrins vers l'âge de treize ou quatorze ans, mais aussi «quelques essais d'écriture» quand il était étudiant. Mais il n'avait jamais envisagé de devenir écrivain (Entretien avec Jean Carrière, in Julien Gracq, op. cit. , p. 113. )
  17. Entretien radiophonique avec Gilbert Ernst du 12 juillet 1971, reproduit in Julien Gracq, Cahier de l'Herne, Paris, 1972, pp. 211-212.
  18. abc Michel Murat, Présentation de Au château d'Argol, sur le site CulturesFrance.
  19. Cf. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. 1129.
  20. ab Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphane Bikialo, Julien Gracq. Un balcon en forêt / La presqu'île, Atlande, Paris, 2007, p. 17.
  21. B. Boie, in Gracq, op. cit. , p. 1145.
  22. C'est en effet lui qui plusieurs mois plus tôt avait attiré sur lui l'attention d'Edmond Jaloux (cf. B. Boie, in Gracq, op. cit. , p. 1140.
  23. Lettre d'André Breton à Julien Gracq du 13 mai 1939, numérisée à l'occasion de la vente aux enchères des biens de Julien Gracq le 12 novembre 2008.
  24. Cité par Gérard de Cortanze, Le Monde du surréalisme, éditions Complexe, 2005, p. 60. Le texte de cette conférence a été repris dans le recueil La Clé des champs publié en 1953. Pour cet extrait, André Breton, Œuvres complètes III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 712.
  25. Hubert Haddad, Julien Gracq, La Forme d'une vie, Zulma, 2004, p. 129.
  26. Entretien avec Jean Carrière, in Julien Gracq, Entretiens, José Corti, Paris, 2002, p. 118.
  27. Ce «on-dit» était rapporté par Gracq lui-même dans un entretien radiophonique de 1971 avec Gilbert Ernst (in Julien Gracq, Cahier de l'Herne, p. 214. ).
  28. Entretien de 1971 avec Gilbert Ernst, in L'Herne, p. 214.
  29. Ces deux romans qui ont le même sujet, a indiqué Gracq (cf. Bernhild Boie, in Julien Gracq, O. C. II, p. 1278. )
  30. Entretien avec Gilbert Ernest , in L'Herne, p. 218.
  31. Cité par Bernhild Boie, in Julien Gracq, O. C. I, p. LXXI.
  32. Bernhild Boie, in Julien Gracq, O. C. I, p. LXXI.
  33. Dans Julien Gracq, Paysage et mémoire, Alain-Michel Boyer rédigé qu'on «pourrait affirmer, sans grand risque d'erreur, que son œuvre littéraire est née, en partie du moins, de l'inachèvement de sa thèse de géographe, de l'impossibilité de l'écrire» (p. 18. )
  34. M. Murat, op. cit. , p. 337.
  35. Ernst Jünger, Soixante-dix s'efface II, Gallimard, 1985, p. 542 (à la date du 2 avril 1980. Jünger évoque quelques personnes venues fêter son quatre-vingt-cinquième anniversaire.
  36. Patrick Marot, «Figures de la lecture dans trois romans des années de guerre : Sur les falaises de marbre, Le Désert des Tartares et Le Rivage des Syrtes» dans Voix d'Ouest en Europe, souffles d'Europe en Ouest, colloque d'Angers 1992, Presses Universitaires d'Angers, 1993.
  37. Michel Murat, «L'herbier et la prairie. Réflexions à propos d'Ernst Jünger et de Julien Gracq», Études germaniques, n°4/1996, p. 805.
  38. Michel Murat, Présentation de La Presqu'île, sur le site CulturesFrance.
  39. ab Michel Murat, Présentation de Un Beau ténébreux, sur le site CulturesFrance.
  40. Michel Murat, op. cit. , p. 337.
  41. «"Inidentique évènement" sur "tonitruante inquiétude", "démesuré atout" sur "invraiidentique méprise", "inidentique vitesse" sur "dévorante communion" [... ], suffit-il par conséquent, pour que naisse quelque beauté, d'accoupler un substantif choisi pour sa virulence avec un adjectif superlatif (de sens sinon de forme).» (cité par Bernhild Boie, in Gracq, op. cit., p. 1145.
  42. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. 1179.
  43. Michel Murat, présentation de Liberté grande sur le site CulturesFrance.
  44. Alain Jaubert, «L'énigmatique Monsieur Poirier», in Magazine littéraire, nº 179 (1981), cité par Mar Garcia, «Systèmes fictionnels dans l'œuvre fragmentaire de Julien Gracq : canon réaliste et effet de fiction» in L'effet de fiction, colloque en ligne Fabula (2001)
  45. B. Boie, in Gracq op. cit., pp. 1272-1274. La phrase de Sartre (citée p. 1274) est extraite de «Qu'est-ce que la littérature ?» publié dans Les Temps modernes, janvier-juillet 1947, et repris en 1948 dans le recueil d'articles Situations II.
  46. Cf. Jean-Louis Murat, Julien Gracq. L'enchanteur réticent, Paris, José Corti, 2004, p. 174-175.
  47. [pdf] Suzanne Dettmar-Wrana, Julien Gracq et la réception du romantisme allemand, thèse de doctorat dirigée par Michel Murat et Oskar Roth, Université de Paris IV, 2000, p. II.
  48. Édition du 30 avril 1949, cité par Bernhild Boie, in Gracq, op. cit., p. 1257
  49. B. Boie, in Gracq, op. cit., pp. 1257-1258.
  50. Michel Murat précise que Gracq ne connaît pas l'allemand et que «la "traduction libre" qu'il fait en 1954 de la Penthésilée de Kleist, à la demande de Jean-Louis Barrault, est en fait une réécriture de celle de Roger Ayrault dans l'édition bilingue. Gracq lui donne du souffle et du ton, l'augmente quelquefois, mais ne la corrige nulle part» dans «Gracq et l'Allemagne», Revue 303, n°93, novembre 2006, p. 89.
  51. ab Michel Murat, Présentation de Prédilections, sur le site CulturesFrance.
  52. Ariane Chebel d'Appollonia, Histoire politique des intellectuels en France (1944-1954) , Tome 2, Complexe, 1999, p. 97.
  53. ab Julien Gracq, Entretien avec Jean Paget (1969), in Les Prédilections de Julien Gracq, disque audio, Ina/France Culture/scam, coll. «Les grandes heures», 211873, 2006.
  54. Suzanne Dettmar-Wrana, op. cit. , p.  ?
  55. Entretien avec Jean Carrière, in Julien Gracq, op. cit., p. 155.
  56. Lettre de Julien Gracq, publiée dans le numéro du 28 novembre 1951 du Figaro littéraire. Cette lettre est reproduite sur le site de la web-revue Terres de femmes («3 décembre 1951/Julien Gracq refuse le Prix Goncourt.»)
  57. Ces voix sont celles de Gérard Bauër, André Billy, Colette, Philippe Hériat, Pierre Mac Orlan et Raymond Queneau.
  58. Voir par exemple le compte-rendu du Journal de 20 heures de l'ORTF le 3 décembre 1951, sur le site de l'INA.
  59. Michel Murat, Présentation du Rivage des Syrtes, sur le site CulturesFrance.
  60. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. LXXIV
  61. M. -A. Gervais-Zaninger, op. cit. , p. 24.
  62. Cf. L'entretien accordé par Dominique Rabourdin à François Dufay pour l'hebdomaire L'Express à la mort de Julien Gracq («Julien Gracq, "un écrivain d'un autre temps"», L'Express, 24 décembre 2007. )
  63. Textes recueillis par Dominique Rabourdin, éditions du Terrain vague, collection «Le désordre». On trouve quelques informations sur Nora Mitrani, qui fut aussi la compagne et le modèle d'Hans Bellmer sur le blog de l'écrivain Orlando de Rudder, qui rencontra le coupe qu'ils formèrent («Julien gracq, Nora Mitrani»)
  64. Lire à ce propos Ruth Amossy, «Prose pour l'Etrangère - Du récit poétique au poème en prose», in Cahiers Julien Gracq no. 2, 1994, pp. 123-147 (surtout les pages 127-129)
  65. Bernhild Boie, cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger, op. cit. , p. 39.
  66. La citation et le développement sur les «pannes» de Gracq, proviennent de l'entretien qu'il a accordé en 2001 à Bernhild Boie, recueilli dans le volume d'entretiens publié aux éditions José Corti en 2002 (p. 294).
  67. Sylvie Vignes, «Un Balcon en forêt, une brèche vers l'enfance ?», in Julien Gracq 5, Revue des Lettres modernes, Cæn, 2007, p. 115.
  68. Alain-Michel Boyer, Julien Gracq, Paysages et mémoire, éd. Cécile Defaut, Nantes, 2007, p. 247.
  69. Par exemple dans Lettrines I, p. 216, cité par Alain-Michel Boyer, op. cit., p. 246.
  70. Michel Murat, Présentation de Prédilections, sur le site CulturesFrance.
  71. «[... ] les valeurs d'"exil" qui sont celles de L'Étranger ou de La Nausée ne sont pas plus les siennes que l'opacité du monde extérieur des romans de Robbe-Grillet. L'œuvre gracquienne se démarque volontiers de ces univers qui lui sont contemporains» commentera Jean-Louis Leutrat dans Julien Gracq, Seuil, coll. «Les contemporains», 1991, p. 138. Voir aussi le jugement porté par Gaétan Brulotte : «Julien Gracq se situe dans les prolongements du surréalisme entre les tenants du roman engagé de l'après-guerre (duquel il est à contre-courant) et ceux du Nouveau Roman dont il a critiqué le souci indu des techniques» dans Les Cahiers de Limentinus, Xyz, 2005, p. 159.
  72. abc Michel Murat, Présentation de Lettrines, sur le site CulturesFrance.
  73. Mar Garcia note que dans les textes autobiographiques de Gracq «le recours au modèle se limite aux passages consacrés à la période de l'enfance. Ceux où il est question de l'adolescent de Nantes, du jeune homme à l'avenir incertain (la géographie, la littérature, la guerre), donnent lieu à l'émergence d'un autre modèle, le pastiche surréaliste» (art. cit. )
  74. Le choix de l'un ou de l'autre de ces qualificatifs n'est pas neutre selon qu'on rapproche ou non ces textes courts de l'esthétique du romantisme allemand : Bernhild Boie les décrit comme des «fragments-hérissons» qui obéissent à l'esthétique romantique (cf. l'article de Mar Garcia déjà cité), alors que Michel Murat emploie le terme de «notes» et de «pages», pour marquer la distance qui sépare les uns de l'autre. (cf. Présentation de Lettrines. )
  75. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. LXXVI.
  76. Cf. Michel Murat, Présentation de La Presqu'île, sur le site CulturesFrance.
  77. Cf. Paul Léon, «Du Roi Cophetua à Rendez-vous à Bray : André Delvaux lecteur de Julien Gracq», in Loxias n°19, Autour du programme d'agrégation 2007-2008, CTEL, Nice, 2007.
  78. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. LXXX.
  79. Michel Murat, Présentation de En lisant en écrivant, sur le site CulturesFrance.
  80. Entretien avec Bernhild Boie (2001), in Julien Gracq, Entretiens, p. 296.
  81. Michel Murat, Julien Gracq, l'enchanteur réticent, p. 343.
  82. En 2007, ce sont Un Balcon en forêt et La Presqu'île qui sont proposés au programme de l'agrégation pour l'année suivante.
  83. Michel Murat, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq - Étude de style, T. 1., Le Roman des noms propres ; T. 2., Poétique De L'ressemblance, Paris, José Corti, 1983.
  84. Bernhild Boie, Hauptmotive im Werke Julien Gracqs, Munich, Wilhelm Fink (cf. Suzanne Dettmar-Wrana, op. cit., p. IV)
  85. «Julien Gracq à la Bibliothèque Nationale de France ainsi qu'aux enchères» sur le site de La République des lettres.
  86. Cf. Michel Murat, Présentation de La Forme d'une ville, sur le site CulturesFrance.
  87. B. Boie, in Gracq, op. cit., p. LXXI.
  88. cf. Michel Murat, Présentation des Carnets du grand chemin, sur le site CulturesFrance.
  89. Michel Murat, «Conversations dans le Maine-et-Loire», sur le site Fabula.
  90. Entretien avec Dominique Rabourdin, in Le Magazine littéraire n°465, juin 2007, p. 32.
  91. Cf. par exemple, François Bon, «déjeuner des bords de Loire» (revue 303, décembre 2006)  ; Jérôme Garcin, «Le roi des Mauges. Hommage à Julien Gracq» (in Le Nouvel observateur, 03 janvier 2008)  ; Pierre Assouline, «Pour saluer Louis Poirier et Julien Gracq» (sur son blog La République des ouvrages, 23 décembre 2007)  ; Sébastien Lapaque, «Julien Gracq, un écrivain immense et secret» (Le figaro, 24 décembre 2007), etc.
  92. Témoignages de Jérôme Garcin et de François (articles cités. )
  93. Entretien avec Dominique Rabourdin, in Le Magazine littéraire n°465, juin 2007, p. 34.
  94. Outre les articles déjà cité de Pierre Assouline, Jérôme Garcin et Sébastien Lapaque, voir sur le blog intitulé Après Julien Gracq, où sont reproduits un certain nombre d'autres articles nécrologiques.
  95. Cf. Extrait du manuscrit du testament de Julien Gracq, reproduit dans «Julien Gracq à la Bibliothèque Nationale de France ainsi qu'aux enchères» sur le site de La République des lettres.
  96. Voir le Catalogue de la succession Julien Gracq.
  97. «Julien Gracq valait 700.000 euros, moins le Prix Goncourt!», Mediapart, 13 novembre 2008
  98. «[... ] à la date de mars 2006 – [il] demeure, depuis bientôt soixante-dix ans, l'objet d'une lecture multiple, jeune et fervente, si on en juge par l'addition des mémoires et des thèses que pourraient lui envier énormément des écrivains de son temps...» Georges Cesbron, «Le Fonds Julien Gracq de la Bibliothèque Universitaire d'Angers» in Revue 303, n°93, novembre 2006, p. 244.
  99. En Lisant en écrivant, p. 44.
  100. Bernhild Boie, introduction aux Œuvres complètes de Julien Gracq, Pléiade I, p. XVII.
  101. Boie, op. cit. , p. XIX.
  102. Boie, op. cit. , p. XX.
  103. Entretiens, p. 51.
  104. Bernhild Boie, op. cit., p. XVI.
  105. Julien Gracq, Entretiens, p. 295.
  106. Boie, op. cit., p. XVIII.
  107. Entretien avec Jean Roudaut, in Entretiens, p. 72.
  108. En lisant en écrivant, p. 1.
  109. C'est ce que fait cependant Hubert Haddad (Julien Gracq, la forme d'une vie, p. 165. ) Mais Bernhild Boie fait observer qu'à la différence de la définition que donne Gracq des écrivains de la seconde catégorie, il n'y a pas chez lui d'œuvre qui puisse être reconnue comme un «brouillon», qu'au contraire «chaque ouvrage en épuisant sa forme ouvre la voie à une écriture nouvelle.» (Introduction aux Œuvres complètes, Pléiade I, p. XL. )
  110. Boie, op. cit. , p. XL.
  111. Boie, op. cit., p. LII et 1145.
  112. Boie, op. cit., p. LIII.
  113. En lisant en écrivant, p. 157-158.
  114. Boie, op. cit., p. XL., ainsi qu'Hubert Haddad, op. cit., p. 166.
  115. H. Haddad, op. cit., p. 184.
  116. Simone Grossman, Julien Gracq et le surréalisme, p. 15.
  117. Cf. Marie-Annick Gervais-Zaninger, Julien Gracq. Un balcon en forêt. La Presqu'île, p. 72.
  118. Cf. Julien Gracq, Entretiens, p. 171.
  119. Michel Murat, Julien Gracq. L'enchanteur réticent, p. 84.
  120. Boie, op. cit., p. XLI.
  121. Lettrines, cité par Bernhild Boie, op. cit., p. XLI.
  122. Boie, op. cit., p. XLIV.
  123. Voir au sujet de l'onomastique chez Julien Graq, Michel Murat, op. cit., chapitre 2 («Les noms et les choses». )
  124. Boie, op. cit., p. XLVIII.
  125. Murat, op. cit., p. 39.
  126. Cf. Bernhild Boie, op. cit., p. LIII-LIV.
  127. Murat, op. cit., p. 265.
  128. Boie, op. cit., p. LIV et Murat, op. cit., p. 266.
  129. Boie, op. cit., p. LV.
  130. Haddad, op. cit., p. 304.
  131. Cité par Bernhild Boie, op. cit., p. LIV.
  132. Michel Murat, op. cit., p. 266.
  133. Hubert Haddad, op. cit., p. 124
  134. Philippe Audoin, Les Surréalistes, Seuil, 1973, cité par Simone Grossman, Julien Gracq et le surréalisme, p. 19.
  135. Cf. pour tout ce passage, Simone Grossman, op. cit., pp. 20-21. Simone Grossman rappelle à ce propos que Gracq «n'a guère caché dans ses rédigés ses propres sentiments anti-chrétiens» (ibid. )
  136. Respectivement à l'âge de douze, quinze et dix-huit ans ; puis à vingt-deux ans pour Breton. Les quatre sont qualifiés par Gracq «d'intercesseurs» et «d'éveilleurs.» (Julien Gracq, Lettrines, cité par Hubert Haddad, op. cit., p. 85. )
  137. Michel Murat, op. cit., p. 233.
  138. Michel Murat, Présentation de André Breton, quelques aspects de l'écrivain, sur le site CulturesFrance.
  139. Hubert Haddad, op. cit., p. 125.
  140. «Il n'est pas question d'entrer dans les vues suspectes de Claudel» précise Gracq (André Breton, p. 37, cité et commenté par Simone Grossman, op. cit., p. 45.
  141. André Breton, p. 20, cité par Simone Grossman, op. cit., p. 47.
  142. Voir par exemple ses propos dans l'entretien accordé à Guy Dumur pour le Nouvel observateur du 29 mars 1967 (article numérisé sur la site du Nouvel Observateur. )
  143. Cf. Simone Grossman, op. cit., Deuxième partie, chap. 2, «Surréalisme et romantisme allemand», pp. 45-59.
  144. Murat, op. cit., p. 237.
  145. Julien Gracq, André Breton, in Pléiade I, p. 502.
  146. André Breton, op. cit., p. 503.
  147. André Breton, op. cit., p. 506. C'est l'auteur qui souligne.
  148. André Breton, in op. cit., p. 503
  149. Ibid, p. 501 (c'est l'auteur qui souligne)
  150. André Breton, in op. cit., p. 484
  151. André Breton, in op. cit., p. 486. C'est l'auteur qui souligne.
  152. cf. Bernhild Boie, in op. cit., p. 1286 (Bernhild Boie conteste pour sa part cette affirmation, à partir de certains faits stylistiques qui ne sont pas communs aux deux écrivains. )
  153. Michel Murat, op. cit., p. 232.
  154. Hubert Haddad, op. cit., p. 128.
  155. Murat, op. cit., p. 232.
  156. Cf. Boie, op. cit., p. 1275.
  157. Julien Gracq, Pléiade I, p. 1025.
  158. Ibid.
  159. Julien Gracq, Pléiade I, p. 1028.
  160. Julien Gracq, Pléiade I, p. 1029.
  161. Julien Gracq, Pléiade I, p. 1030.
  162. Julien Gracq, Pléiade I, p. 1022, pour la totalité des citations de ce paragraphe.
  163. Titre de l'article rédigé par Gracq en hommage à Breton et publié dans Le Monde au lendemain de la mort de ce dernier (Haddad, p. 139. )
  164. Simone Grossman, op. cit., p. 21.
  165. Haddad, op. cit., p. 124
  166. Simone Grossman, op. cit., p. 21.
  167. Simone Grossman, op. cit., p. 22.
  168. Julien Gracq, Prédilections, cité par Hubert Haddad, op. cit., p. 129.
  169. Michel Murat, op. cit., p. 189.
  170. Pléiade I, p. 1299.
  171. Michel Murat, op. cit., p. 189.
  172. Louis Baladier, «Un Balcon en forêt ou le récit-paysage», in L'Information littéraire, 60e année, n°2, Avril-juin 2008, p. 21 et 24-25
  173. Cité par Hubert Haddad, op. cit. , p. 131.
  174. Haddad, op. cit., p. 145.
  175. Voir la bibliographie établie à ce sujet par le fonds Julien Gracq de la bibliothèque universitaire d'Angers
  176. Philippe Berthier, Julien Gracq critique, p. 28, note 5. De même, Patrick Marot, directeur de la série de monographies consacrées à Gracq dans La Revue des lettres modernes précise que «le principe de cette Série n'a pas l'aval de l'écrivain» (Julien Gracq 1, Une écriture en abyme, RLM, 1991, p. III.
  177. Ainsi par exemple d'Alain-Michel Boyer qui, en épigraphe à son étude Paysages et mémoire remercie vivement «M. Julien Gracq pour l'extrême amabilité avec laquelle il a bien voulu répondre à [ses] questions.» (p. 7) Il semble d'autre part que Gracq ait accueilli favorablement la nouvelle de l'inscription de deux de ses livres au programme de l'agrégation de lettres en 2007 (cf. Marie-Annick Gervais-Zaninger, Rapport du jury de l'agrégation externe de lettres modernes. Session 2008, p. 15. Mis en ligne sur le site du Ministère de l'Éducation Nationale française. )
  178. Julien Gracq, Lettrines, in Pléiade II, p. 161. Les italiques sont de l'auteur.
  179. Berthier, op. cit., p. 31.
  180. Berthier, op. cit., p. 29.
  181. Berhier, p. 29.
  182. Julien Gracq, En lisant en écrivant, p. 174, cité par Philippe Berthier, op. cit. , p. 34.
  183. Berthier, op. cit. , p. 37.
  184. Prédilections, p. 74-75.
  185. Julien Gracq, Lettrines, in Pléiade II, p. 151. C'est l'auteur qui souligne.
  186. Ibid, p. 151-152. C'est l'auteur qui souligne.
  187. Murat, L'Enchanteur réticent, p. 103.
  188. En lisant en écrivant, p. 178-179.
  189. Berthier, p. 91
  190. En lisant en écrivant, p. 112-113.
  191. Cf. Berthier, p. 46 et suivantes.
  192. En lisant en écrivant, p. 179.
  193. Selon Patrick Marot, ce refus s'explique par le fait que pour Gracq «l'œuvre suppose un rapport de désir et de distance qui s'incarne dans la qualité de sa présentation matérielle» («Un Balcon en forêt, La Presqu'île, un tournant dans l'écriture», in Marianne Lorenzi (dir. ), Julien Gracq, Les Dernières fictions, Paris, PUF/CNED, 2007, p. 12. )

Recherche sur Amazone (livres) :




Ce texte est issu de l'encyclopédie Wikipedia. Vous pouvez consulter sa version originale dans cette encyclopédie à l'adresse http://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Gracq.
Voir la liste des contributeurs.
La version présentée ici à été extraite depuis cette source le 26/03/2009.
Ce texte est disponible sous les termes de la licence de documentation libre GNU (GFDL).
La liste des définitions proposées en tête de page est une sélection parmi les résultats obtenus à l'aide de la commande "define:" de Google.
Cette page fait partie du projet Wikibis.
Accueil Recherche Aller au contenuDébut page
ContactContact ImprimerImprimer liens d'évitement et raccourcis clavierAccessibilité
Aller au menu